"Des morts entre les mains" : le documentaire en immersion avec les services funéraires de la Ville de Paris

01.07.2020
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Par Audrey Lévy

 

« Des morts entre les mains », un documentaire de Camille Vidal Naquet


« Des morts entre les mains », un documentaire de Camille Vidal Naquet - Mercredi 1er juillet, sur France 3, 23h03


De son immersion qui a duré trois ans au sein des services funéraires de la Ville de Paris, le cinéaste Camille Vidal-Naquet livre un somptueux documentaire, "Des morts entre les mains". Hommage à ces travailleurs de l’ombre, courageux et besogneux, humains avant tout, que l’on appelle sans relâche pour convoyer les morts de nos mégalopoles.


Marianne : On les appelle les « techniciens de convois » mais l’on connait peu ce métier qui est pourtant essentiel, comment est venue l’envie de leur consacrer un documentaire ?

Camille Vidal-Naquet : La mort est un thème que l’on tient à distance, comme si on voulait ne jamais y être confronté. C’est pourtant le métier et le quotidien de certains, dont on ignore tout. En 2013, lors d’un court-métrage, j’avais rencontré dans une faculté de médecine, un jeune homme dont la fonction était de gérer les corps utilisés le jour des dissections. Ce dont on parle, ce sont des médecins, des étudiants mais jamais de cette personne qui est un maillon fondamental de la chaine : c’est grâce à elle que la science se pratique. Au départ, je ne savais pas exactement de quoi je parlerais : j’avais assisté à des sessions de formations aux métiers du funéraire et découvert la fonction de maitre de cérémonie, chargés des processions. C’est en rencontrant François Michaud-Nérard, l’auteur du livre « La révolution de la mort » que j’ai découvert cette caserne des « pompiers de la mort » où des hommes se relaient jour et nuit pour exercer différentes activités funéraires.

Dans votre premier long-métrage « Sauvage », vous vous étiez déjà intéressé aux travailleurs invisibles, vous immergeant dans l’univers d’un jeune homme qui se prostitue dans le bois de Boulogne, pourquoi avez-vous préféré ici, le documentaire à la fiction ?

Ma méthode de travail, c’est l’immersion : pour écrire, j’ai besoin de me confronter au réel et d’y passer des années. J’avais envie de parler d’une réalité, sans passer par filtre de la fiction, d’utiliser cette matière de manière brute pour raconter le quotidien de ces travailleurs, face à l’incommensurable. Pas de commentaires, ici, la réalité est tellement impressionnante qu’il n’y avait rien à ajouter, il fallait s’effacer, laisser les personnages dans leur pudeur apparaitre par petite touche, sans les trahir. Il n’y a pas de héros ici, le personnage principal, c’est le collectif, leur amitié et leur solidarité, c’est eux, tous ensemble.

Quelles sont les tâches qui leur incombent ?

Les services funéraires de la Ville de Paris ont les mêmes attributions que les pompes funèbres : chargés des convois funéraires, ils accompagnent les cortèges et les cercueils dans les lieux de recueillement, certains officient comme maitres de cérémonie... Et il y a cette activité que l’on connait moins, dédiée aux réquisitions judiciaires, sur laquelle le film se focalise : cela concerne les corps que l’on retrouve sur la voie publique, après un accident, un suicide, un meurtre. Ils ne sont pas immédiatement restitués aux familles, à cause d’un obstacle médico-légal : les officiers de police judiciaire a besoin d’analyses pour vérifier les circonstances du décès. Alors on les appelle pour transporter les corps jusqu’à l’Institut médico-légal.

Ils sont confrontés au concret, lors d’un incendie, ce sont eux par exemple qui vont récupérer les corps calcinés, parfois ils reviennent le lendemain dans des mares de sang, pour réunir toutes les pièces d’un corps. Ils sont confrontés à l’insoupçonnable, à ce qu’on ne peut pas se représenter. Ils s’infiltrent partout, des taudis d’une insalubrité absolue, où ils doivent creuser des galeries pour atteindre les corps, jusqu’à l’Ecole militaire pour le corps d’un officier. Ils ont un accès privilégié.

C’est pourtant un univers fermé, vous ont-ils facilement ouvert leurs portes ? En les suivant, qu’est-ce qui vous a marqué ?

Ils avaient envie et presque besoin de parler : on ne s’intéresse jamais à leur travail. Je me suis senti protégé par eux, notamment sur les lieux d’intervention qui sont d’une violence ahurissante. Comme cette jeune fille qu’ils devaient récupérer en lambeau sur le trottoir, après s’être défénestrée. En tant que professionnels, ils se sentent investis d’une responsabilité, c’est un travail pour eux, ils n’essaient pas de connaitre l’identité de la personne, ni son parcours : il y a un corps à déplacer sur la voie publique et c’est une priorité car le trafic doit reprendre, alors le travail doit être bien fait, avec dignité. J’ai été marqué par ces personnes qui meurent seules, oubliées du monde en plein Paris : on les retrouve des mois après sur leur canapé dans des états proches de la momification. Et malgré les odeurs pestilentielles, personne ne s’en est aperçu. Ces hommes dont on ne s’intéresse jamais, savent mieux que quiconque ce qu’est la solitude dans Paris. Certains disent se sentir utiles, se demandant comment on peut ainsi oublier un être humain.

Qui sont ces travailleurs « invisibles » et comment arrive-t-on à ce métier ?

Les profils sont très différents. Il y a des jeunes, des personnes proches de la retraite. Beaucoup sont arrivés là par curiosité et ils ont été surpris. Certains sont aussi vite repartis : on sait rapidement ici si on est fait pour le métier. Pour d’autres, c’est une vocation, un métier qu’on exerce dans toute une famille. On croit à tort qu’on exerce ce métier par défaut, or nombreux sont ceux qui sont passionnés par cette activité, qu’ils exercent consciencieusement et avec rigueur. Certains ne pourrait pas faire autre chose. « Je suis là-dedans, je n’en sors plus ! », confiait l’un d’eux à son collègue qui lui demandait : « Tu pourrais faire un autre métier, normal ? ».

Parmi ces lourdes tâches, quelles sont les situations les plus éprouvantes pour eux ?

Il y a ces corps lourds et volumineux qu’ils doivent souvent évacuer du métro, avec ses couloirs et ses escaliers, avec l’aide de renforts. L’autre difficulté, c’est de récupérer des corps disloqués, c’est compliqué émotionnellement, notamment lorsqu’il s’agit de jeunes gens ou de bébés. Ils prennent cela en plein cœur, ils se projettent, car beaucoup d’entre eux sont pères de famille. On a tendance à penser que ces travailleurs sont des croque-morts en costards blafards mais ce sont des êtres humains, avant tout. Nombre d’entre eux ont été appelés, lors des attentats au Bataclan. Dans le film, on voit ce type solide qui a fait plusieurs guerres au Cambodge, en Tchétchénie et qui a travaillé dans la sécurité en Serbie et qui raconte que cet effroyable champ de bataille a fait ressurgir en lui, le traumatisme de la guerre. Ces hommes sereins et solides face à la mort restent quoi qu’on en dise, profondément humains. L’impassibilité totale face à la mort, n’existe pas. C’est ce même homme qui verse des larmes, lorsqu’on enlève à une mère le corps de son enfant, auquel elle se cramponne. Avant d’être des spécialistes de la mort ce sont des spécialistes des vivants.

Malgré les conditions de travail, pénibles, le métier reste peu rémunérateur et mal considéré, ont-ils pour certains, le sentiment d’être des oubliés de la société ?

C’est le problème : non seulement, ils gagnent peu, mais leur activité n’est pas reconnue. Lors d’une intervention, l’un d’eux a voulu poser des questions à un policier qui lui a répondu : « Laisse-nous, on est entre nous ». Comme ils n’ont pas l’uniforme des policiers, ni le côté sauveteur des pompiers, on leur accorde peu de crédit. Il y a des familles qui leur lancent qu’ils sont le diable. Ils doivent d’encaisser ce rejet de la mort, qu’on ne veut pas voir. Ils se sentent peu considérés par la société. Pourtant leur métier n’a pas prix. Ils s’occupent des indigents qui n’ont pas de famille et que personne ne réclame. On les voit, plein de déférence avec les corps, exécuter ce même rituel : ils ne se contentent pas porter un corps et de le placer dans une housse, ils rendent hommage à la dignité de l’être humain. Ils ne laissent personne partir seul, ils sont les derniers garants de la dignité humaine en milieu urbain.

«Des morts entre les mains », un documentaire de Camille Vidal Naquet, mercredi 1er juillet, sur France 3, 23h03

Video https://www.molotov.tv/fr_fr/p/223670-49/des-morts-entre-les-mains

Video https://www.france.tv/france-3/l-heure-d/1785751-des-morts-entre-les-mains.html

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“L’Heure D” - « Des morts entre les mains » et « Salagosse », ce soir sur France 3 https://www.coulisses-tv.fr/index.php/documentaires/item/14506-%E2%80%9Cl%E2%80%99heure-d%E2%80%9D-%C2%AB-des-morts-entre-les-mains-%C2%BB-et-%C2%AB-salagosse-%C2%BB,-ce-soir-sur-france-3 

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